mardi 8 janvier 2013

Journal intime d'un personnage lié à Dialogue avec son chien... de Piemme par les 4T de Saint-Raphaël Remouchamps


Journal intime lié à Dialogue d'un chien avec son maître sur la nécessité de mordre ses amis de J-M Piemme



Le mal chanceux


Journal intime d'un sdf. Tout porte à croire qu'il s'agit de celui dont Prince a mangé la main dans la pièce Dialogue d'un chien avec son maître sur la nécessité de mordre ses amis de JM Piemme.


Le 7 décembre 2001
Cher journal ,

Je te préviens tout de suite : je n’ai jamais tenu de journal avant toi! D’ailleurs, je ne sais pas trop comment on fait; alors si je ne le fais pas correctement, ne m’en veux pas.

Bon, je me présente: je m’appelle Pierre, j’ai 25 ans, je n’ai pas de frère ni de sœur (à ma connaissance), ma mère, je ne la connais pas. Quand elle est tombée enceinte de moi, elle n’avait que 16 ans et je suppose qu’après ma naissance, elle a préféré se tirer avant qu’il ne soit trop tard. Quant à mon père, il est mort quand j’avais 18 ans d’un terrible cancer des poumons. Mon père était quelqu’un de très riche et changeait de «compagne» tous les six mois (un peu près), mais si tu veux mon avis, je pense qu’il n’a jamais pu oublier ma mère. Quand j’étais petit et que je lui posais des questions du style «Pourquoi les autres garçons ils ont des mamans et pas moi?» ou encore celle que je posais toujours avant d’aller dormir «Dis papa, où elle est ma maman?» il me répondait toujours «Tu sais, mon grand, dans la vie tu n’arriveras jamais à avoir toutes les réponses à tes questions ». Ensuite, il m’embrassait et me souhaitait de beaux rêves et partait se coucher avec l’une de ses conquêtes.

J’ai toujours admiré mon père, il était si calme, si posé et si responsable. Combien de garçons de 16 ans assumerait un gosse et se battrait coûte que coûte pour lui offrir la meilleure vie possible? Moi je vais te le dire, pas beaucoup… En tout cas, pas moi.

Mon père voulait que je fasse de grandes études et que je reprenne sa société mais après sa mort, j’ai été anéanti. Comment peux-tu continuer à vivre normalement quand tu as perdu la seule famille que tu as connue, ton unique exemple, la raison pour laquelle tu te battais? Ce n’est pas possible. Bien sûr, après quelques mois, comme tout le monde, je me suis relevé petit à petit.

J’ai arrêté mes études, et jusqu’à présent je n’ai pas eu besoin de travailler vu l’héritage que m’a laissé mon père. Il y a quelques mois, j’ai dû vendre la maison car je n’arrivais pas à la payer et je me suis installé dans un petit appartement en ville. Il possède une seule cuisine, une seule chambre et une seule salle de bain, il n’y a pas de chauffage et les murs sont remplis de moisissures. Je peux te dire que c’est le pire endroit où quelqu’un peut dormir mais c’est le seul appartement que je puisse me payer.

J’ai des plaques rouges sur tout le corps et une toux infernale, sans doute à cause du froid. Le propriétaire est passé il y a deux mois pour me demander de lui payer le loyer, mais la vérité, c’est que je n’ai plus un sous. Demain, je vais me rendre en ville dans le but de trouver du travail pour avoir de quoi payer mon loyer et aller chez le médecin.
Je te réécris demain pour te raconter ma journée. A demain!


Le 8 décembre 2001
Cher journal,
Comme je te l’ai dit hier, aujourd’hui je suis allé en ville pour me trouver un boulot. En vain: personne n’a voulu m’engager. Je suis allé dans trois restaurants, deux magasins et une boulangerie... Personne ne voulait m’écouter parler. C'est compréhensible: je suis un gars qui porte des vêtements déchirés et pleins de boue.

Je ne te l’ai pas dit, mais la semaine passée, j’ai vendu tous mes vêtements de marque, mes costards, mes chaussures, mes montres de luxe, mes ceintures et j’en passe. J’ai juste gardé un vieux pull et un jeans délavé. Tu imagines si mon père me voyait dans cet état! Qu’est-ce qu’il penserait de moi? Que me dirait-il? Que ferait-il à ma place? Je n’en ai pas la moindre idée mais en tous cas, il se battrait; alors je vais me battre. Malheureusement au vu de ma condition physique, ça ne s’annonce pas sous les meilleurs auspices.

Tout à l’heure sur le chemin du retour, dans le bus, je ne me sentais pas très bien. Arrivé à la gare à l’heure de pointe, j’ai vomi du sang. Les personnes choquées ont tout de suite appelé une ambulance pour me conduire à l’hôpital. Là-bas les médecins m’ont annoncé «Nous savons que ce genre de nouvelles n’est pas facile à entendre mais vous avez une maladie héréditaire qui…».

Je me suis arrêté là, je n’ai plus suivi un seul mot de ce qu’ils m’ont dit. Je me suis tout simplement déconnecté aux mots «MALADIE HEREDITAIRE» mon père n’est pas mort d’une ‘’maladie héréditaire’’, mais d’un cancer. Une seule personne a pu me refiler ce virus, ma mère. Ça ne lui a pas suffi de m’abandonner, d’abandonner mon père, d’abandonner l’amour qu’il éprouvait pour elle? Non! Il fallait en plus qu’elle soit la cause de ma mort!

Une fois mes esprits retrouvés, les médecins m’ont clairement expliqué que je devais suivre un traitement et rester bien au chaud. Si ça s’améliore, je pourrai peut-être me faire opérer. Mais qui dit traitement et opération dit argent et qui dit bien au chaud, dit maison et je n’ai aucun des deux.

Quand je suis rentré de l’hôpital, le propriétaire m’attendait devant chez moi, ou plutôt devant chez lui. Il m’a demandé mes clefs et m’a donné un sac avec de la nourriture qui trainait dans mes armoires. Je sais que j’ai des droits, qu’il ne peut pas me mettre à la rue ainsi, mais je n’ai plus de force pour me battre.

Voilà comment ce soir je me retrouve à dormir sous un pont tout seul. Tu te souviens hier quand je t’ai dit que l’appartement où j’habitais était le pire endroit où quelqu’un pouvait dormir? Et bien j’avais tort. Être dans la rue, c’est affreux, froid, humide, bruyant,…

Toutes les fois où je suis passé à côté d’un SDF en l’ignorant, en me disant «Qu’il aille travailler, ce fainéant!». Si on se retrouve dans la rue, c’est que quelque chose dans notre vie a mal tourné. Qu’un malheur nous est tombé dessus sans que l’on s’y attende. Peut-être existe-t-il des SDF fainéants, mais crois-moi personne ne devrait avoir à vivre dans la rue! C’est vrai quoi! Il y a bien assez de place pour tout le monde sur cette planète!

Je commence à me fatiguer, je compte aller faire la manche demain et récolter assez d’argent pour me payer mes médicaments, je te raconterai tout demain. A demain!


Le 9 décembre 2001
Cher journal,

Comme je te l’ai annoncé hier, aujourd’hui je suis allé faire la manche dans le marché du coin.
J’y ai rencontré d’autres SDF. Il y avait Paul qui se place toujours au début du marché. Il doit avoir une cinquantaine d’années et est SDF depuis 10 ans. Avant d’habiter dans la rue, il vivait avec sa tante qui l’a expulsé de chez elle, car il se droguait. Ensuite Hervé qui se place plus ou moins au milieu du marché près des vendeurs de frites. Quelques fois, ils ont pitié de lui et c’est comme ça qu’il se nourrit. Lui, a une histoire banale comme il le dit si bien, il n’arrivait pas à payer ses factures, s’endettait de plus en plus et a fini par se faire expulser... Comme moi. J’ai aussi fait la connaissance d’une certaine Anne. Personne ne sait comment elle s’est retrouvée là. Elle doit avoir un peu près mon âge, mesurer pas loin d’un mètre 65 et a des yeux
magnifiques. Elle, elle se place près de vendeurs et non des vendeuses de vêtements. Ils ne sont pas contre sa présence près d’eux et elle en est consciente. Anne sait se servir de son charme et quelques fois en plus des vêtements, les marchands lui offrent le repas. Pour ma part je me suis placé tout à la fin du marché, pas grand monde ne se rend jusque-là.

A la fin de la matinée je n’avais que 1,50 euros mais mes amis ont partagé leur repas avec moi et Paul. Ils ont très vite remarqué ma toux et mes plaques et je leur ai donc raconté mon histoire. Ça les a touchés et ils m’ont dit qu’ils m’aideraient à obtenir mes médicaments, mais j’ai refusé. Ils ont alors insisté et j’ai fini par accepter. Je leur ai dit le nom de mes médicaments et c’est comme ça que quatre SDF ont été voler dans une pharmacie.

Paul a fait semblant de s’étouffer, le pharmacien a couru pour l’aider et Hervé était là pour éviter qu’il se retourne. Je me suis mis devant la caméra de surveillance en faisant semblant de la nettoyer et Anne a piqué les médocs dans la réserve. Le pharmacien n’y a vu que du feu.

Dans la soirée, la croix rouge est passée pour nous offrir du café, nous avons fait un feu et nous nous sommes raconté des histoires toute la nuit. Je ne me rappelle pas de la dernière fois où j’ai ri autant.

Une fois que l’heure d’aller dormir est arrivée, tout le monde s’est dispersé et je suis retourné seul sous mon pont. Je sens mon corps qui me lâche de plus en plus, j’ai des maux de tête impitoyables qui m’empêche de me reposer et les médicaments me donnent la nausée.

Demain, mes amis et moi comptons aller faire la manche près du supermarché. Je te raconterais, évidemment tout.
A demain!


Le 10 décembre 2001
Cher journal,

Ce matin, Paul est venu me réveiller tôt pour aller mendier devant le supermarché et m’a annoncé qu'Anne était partie dans le Sud de la France avec un marchand. Je ne sais pas pourquoi, mais ça ne m’a pas surpris.

Après cette nouvelle, nous sommes allés chercher Hervé qui dormait sur un banc dans le parc. A la sortie du supermarché les gens nous donnaient du lait, des biscuits, du pain,… Une dame nous a même payé le petit déjeuner. Elle était vieille et ne semblait pas très riche mais ça se voyait qu’elle nous offrait ce café et ce croissant de bon cœur et c’est bien ça qui a réchauffé le nôtre.

Après avoir fini de déjeuner nous sommes retournés nous installer près des cadis. Je ne me sentais pas très bien et j’ai vomi une fois encore du sang. Une jeune femme qui passait par là a tout de suite appelé une ambulance. Arrivé à l’hôpital, j’ai fait des sortes de photos de mes organes (désolé mais je ne sais plus très bien comment ça s’appelle, si ça me revient je te le dirais). Les médecins m’ont dit que mon état empirait de façon alarmante, qu’ils ne pouvaient plus rien pour moi et qu’il ne me restait plus longtemps à vivre. Ils ont clôt la discussion par un solennel «Nous sommes désolés».

Sur le chemin du retour je ne pensais qu’à une seule chose: retrouver ma mère. Si il y a bien une chose que j’ai appris c’est qu’il faut être solidaire! Peut-être qu’elle ne sait pas qu’elle a ce virus en elle. Je dois absolument lui dire, lui éviter le même sort que moi avant qu’il ne soit trop tard pour elle aussi.

Quand j’ai annoncé cette nouvelle à Paul et Hervé, Paul a tout de suite voulu m’aider mais Hervé, lui, nous a informés qu’il avait trouvé du travail et ses patrons étaient d’accord pour qu’il loue l’appartement au-dessus du magasin. Il nous a aussi dit qu’il nous inviterait bien, mais que c’était bien trop petit pour trois.

Alors voilà demain, Paul et moi allons nous rendre dans l’hôpital où je suis né pour découvrir qui est ma mère biologique. Mais je n’arrête pas de me poser des questions: est-elle en vie? Si oui, comment va-t-elle réagir quand elle apprendra que son fils est un SDF alors qu’il avait tout entre ses mains pour réussir? A-t-elle eu d’autres enfants? Allait-elle répondre à la question que je me pose depuis tout petit: Pourquoi nous a-t-elle abandonnés, mon père et moi? Était-elle amoureuse de mon père? Et bien d’autres encore...

Bon je suis fatigué, je te rappelle tout de même que je suis en train de mourir, alors je te dis à demain.


Le 11 décembre 2001
Cher journal,

Aujourd’hui il a neigé, mais je suppose que ce n’est pas ça qui t’intéresse.

Comme prévu, Paul et moi nous sommes rendus à l’hôpital. Arrivés là-bas, une très jolie fille était à l’accueil. On lui a dit que je voulais retrouver ma mère, mais elle a nous a répondu qu’il lui était impossible de me dire son nom car c’était contre le règlement. Mais une fois que Paul lui a raconté l’histoire du malade qui est en train de mourir et qui a pour dernier souhait de retrouver la femme qui l’a mis au monde, c’est tout de suite passé mieux. Je lui ai dit mon nom et prénom, ma date de naissance, le nom et prénom de mon père, etc. et là elle nous a regardé avec un sourire triste et a dit «votre mère est le docteur Elise Smith, mais cela fait deux ans maintenant qu’elle nous a quittés. Elle a eu un terrible accident de voiture. Je suis désolée, monsieur».

Sur le chemin du retour, Paul m’a dit «Tu imagines? Tu avais un toit et maintenant tu as un pont . Tu as perdu ton père et maintenant ta mère. Tu avais toute ta vie devant toi et maintenant tu n’as plus que quelques jours. On devrait te surnommer... Le mal chanceux!». Et tu sais ce qui est le plus triste dans cette phrase? C’est qu’elle soit vraie.

Je repense à la phrase que me disait mon père «Tu sais mon grand, dans la vie, tu n’arriveras jamais avoir des réponses à toutes tes questions». Et bien mon père avait raison. J’ai toujours cru que je dirais cette phrase à mes enfants, mais c’est clair que je n’en aurai pas. Quand j’y pense, il me reste encore tellement de choses à vivre. Pourquoi est-ce que c’est tombé sur moi? Enfin je suppose qu’à cette questions-là non plus, je n’aurai pas de réponse. J’ai vais mourir SDF et je ne dois pas m’en plaindre car si j’en suis là aujourd’hui, c’est en grande partie ma faute.

Ce soir, je vais aller me coucher sans force. Je sais qu’aujourd’hui je t’ai écrit moins que les autres jours, mais mon bras commence à ne plus vouloir m’obéir, je te rappelle tout de même que je suis en train de mourir. A demain!


Le 12 décembre 2001
Cher journal,

Il fait de plus en plus froid, je ne sens plus mon nez, mes pieds ou encore mes doigts.

Paul ce matin est venu me voir pour me dire qu’il ne viendrait plus me réveiller. Hervé lui a demandé d’aller vivre avec lui. Il m’a dit qu’il ne fallait pas que je le prenne mal, car ils sont amis depuis très longtemps et ont toujours tout partagé. Je lui ai dit que je ne le prenais pas mal, je suis même content qu’ils aient trouvé un toit.

Cet après-midi, il faisait tellement froid et je me sentais si mal que je suis allé me réchauffer dans une boulangerie. L’odeur du pain me faisait sourire d’autant plus que j’avais très très faim. La boulangerie dans laquelle je me trouvais était celle dans laquelle j’avais demandé du travail. La boulangère est venu me voir et m’a dit qu’elle voulait bien me donner le travail à condition d’aller voir un médecin, car mon teint verdâtre allait éloigner les clients. Bien sûr, je lui ai dit que ça ne m’intéressait plus et elle m’a demandé pourquoi. Je lui ai donc raconté mon histoire et c’est par pitié qu’elle m’a offert le petit déjeuner, sans doute en se disant qu’il n’y aurait pas de prochaine fois.

Je sens que je suis en train de mourir, crois-moi ce n’est pas une sensation très agréable. J’ai de moins en moins de force dans mes jambes et dans mes bras. D’ailleurs je crois que je vais arrêter de t’écrire parce que ma main est en compote. Je te rappelle tout de même que je suis en train de mourir seul, sous mon pont.

Le surnom «le mal chanceux» me va assez bien en fait. Si je suis toujours en vie, je t’écrirai demain. A demain!


Le 13 décembre 2001
Cher journal,

Je sens mes paupières de plus en plus lourdes, je n’ai plus aucune force, je meurs. Mais avant de mourir il faut que je te dise quelques chose de très important, je n....



¤¤¤Ce journal intime fut retrouvé par Paul dans la gueule d’un chien. ¤¤¤¤


























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