Journal
intime lié à Dialogue d'un chien avec son
maître sur la nécessité de mordre ses amis
de J-M Piemme
Le
mal chanceux
Journal
               intime d'un sdf. Tout porte à croire qu'il s'agit de
               celui dont Prince a mangé la main dans la pièce
               Dialogue d'un chien avec son maître sur la
               nécessité de mordre ses amis de
               JM Piemme.
Le
               7 décembre 2001 
               
Cher
               journal ,
Je
               te préviens tout de suite : je n’ai jamais tenu de
               journal avant toi! D’ailleurs, je ne sais pas trop
               comment on fait; alors si je ne le fais pas
               correctement, ne m’en veux pas. 
               
Bon,
               je me présente: je m’appelle Pierre, j’ai 25 ans,
               je n’ai pas de frère ni de sœur (à ma
               connaissance), ma mère, je ne la connais pas. Quand
               elle est tombée enceinte de moi, elle n’avait que
               16 ans et je suppose qu’après ma naissance, elle a
               préféré se tirer avant qu’il ne soit trop tard.
               Quant à mon père, il est mort quand j’avais 18 ans
               d’un terrible cancer des poumons. Mon père était
               quelqu’un de très riche et changeait de «compagne»
               tous les six mois (un peu près), mais si tu veux mon
               avis, je pense qu’il n’a jamais pu oublier ma
               mère. Quand j’étais petit et que je lui posais des
               questions du style «Pourquoi les autres garçons ils
               ont des mamans et pas moi?» ou encore celle que je
               posais toujours avant d’aller dormir «Dis papa, où
               elle est ma maman?» il me répondait toujours «Tu
               sais, mon grand, dans la vie tu n’arriveras jamais à
               avoir toutes les réponses à tes questions ».
               Ensuite, il m’embrassait et me souhaitait de beaux
               rêves et partait se coucher avec l’une de ses
               conquêtes.
J’ai
               toujours admiré mon père, il était si calme, si
               posé et si responsable. Combien de garçons de 16 ans
               assumerait un gosse et se battrait coûte que coûte
               pour lui offrir la meilleure vie possible? Moi je vais
               te le dire, pas beaucoup… En tout cas, pas moi.
Mon
               père voulait que je fasse de grandes études et que
               je reprenne sa société mais après sa mort, j’ai
               été anéanti. Comment peux-tu continuer à vivre
               normalement quand tu as perdu la seule famille que tu
               as connue, ton unique exemple, la raison pour laquelle
               tu te battais? Ce n’est pas possible. Bien sûr,
               après quelques mois, comme tout le monde, je me suis
               relevé petit à petit. 
               
J’ai
               arrêté mes études, et jusqu’à présent je n’ai
               pas eu besoin de travailler vu l’héritage que m’a
               laissé mon père. Il y a quelques mois, j’ai dû
               vendre la maison car je n’arrivais pas à la payer
               et je me suis installé dans un petit appartement en
               ville. Il possède une seule cuisine, une seule
               chambre et une seule salle de bain, il n’y a pas de
               chauffage et les murs sont remplis de moisissures. Je
               peux te dire que c’est le pire endroit où quelqu’un
               peut dormir mais c’est le seul appartement que je
               puisse me payer. 
               
J’ai
               des plaques rouges sur tout le corps et une toux
               infernale, sans doute à cause du froid. Le
               propriétaire est passé il y a deux mois pour me
               demander de lui payer le loyer, mais la vérité,
               c’est que je n’ai plus un sous. Demain, je vais me
               rendre en ville dans le but de trouver du travail pour
               avoir de quoi payer mon loyer et aller chez le
               médecin.
Je
               te réécris demain pour te raconter ma journée. A
               demain! 
               
Le
               8 décembre 2001 
               
Cher
               journal,
Comme
               je te l’ai dit hier, aujourd’hui je suis allé en
               ville pour me trouver un boulot. En vain: personne n’a
               voulu m’engager. Je suis allé dans trois
               restaurants, deux magasins et une boulangerie...
               Personne ne voulait m’écouter parler. C'est
               compréhensible: je suis un gars qui porte des
               vêtements déchirés et pleins de boue.
Je
               ne te l’ai pas dit, mais la semaine passée, j’ai
               vendu tous mes vêtements de marque, mes costards, mes
               chaussures, mes montres de luxe, mes ceintures et j’en
               passe. J’ai juste gardé un vieux pull et un jeans
               délavé. Tu imagines si mon père me voyait dans cet
               état! Qu’est-ce qu’il penserait de moi? Que me
               dirait-il? Que ferait-il à ma place? Je n’en ai pas
               la moindre idée mais en tous cas, il se battrait;
               alors je vais me battre. Malheureusement au vu de ma
               condition physique, ça ne s’annonce pas sous les
               meilleurs auspices.
Tout
               à l’heure sur le chemin du retour, dans le bus, je
               ne me sentais pas très bien. Arrivé à la gare à
               l’heure de pointe, j’ai vomi du sang. Les
               personnes choquées ont tout de suite appelé une
               ambulance pour me conduire à l’hôpital. Là-bas
               les médecins m’ont annoncé «Nous savons que ce
               genre de nouvelles n’est pas facile à entendre mais
               vous avez une maladie héréditaire qui…».
Je
               me suis arrêté là, je n’ai plus suivi un seul mot
               de ce qu’ils m’ont dit. Je me suis tout simplement
               déconnecté aux mots «MALADIE HEREDITAIRE» mon père
               n’est pas mort d’une ‘’maladie héréditaire’’,
               mais d’un cancer. Une seule personne a pu me refiler
               ce virus, ma mère. Ça ne lui a pas suffi de
               m’abandonner, d’abandonner mon père, d’abandonner
               l’amour qu’il éprouvait pour elle? Non! Il
               fallait en plus qu’elle soit la cause de ma mort!
Une
               fois mes esprits retrouvés, les médecins m’ont
               clairement expliqué que je devais suivre un
               traitement et rester bien au chaud. Si ça s’améliore,
               je pourrai peut-être me faire opérer. Mais qui dit
               traitement et opération dit argent et qui dit bien au
               chaud, dit maison et je n’ai aucun des deux.
Quand
               je suis rentré de l’hôpital, le propriétaire
               m’attendait devant chez moi, ou plutôt devant chez
               lui. Il m’a demandé mes clefs et m’a donné un
               sac avec de la nourriture qui trainait dans mes
               armoires. Je sais que j’ai des droits, qu’il ne
               peut pas me mettre à la rue ainsi, mais je n’ai
               plus de force pour me battre. 
               
Voilà
               comment ce soir je me retrouve à dormir sous un pont
               tout seul. Tu te souviens hier quand je t’ai dit que
               l’appartement où j’habitais était le pire
               endroit où quelqu’un pouvait dormir? Et bien
               j’avais tort. Être dans la rue, c’est affreux,
               froid, humide, bruyant,…
Toutes
               les fois où je suis passé à côté d’un SDF en
               l’ignorant, en me disant «Qu’il aille travailler,
               ce fainéant!». Si on se retrouve dans la rue, c’est
               que quelque chose dans notre vie a mal tourné. Qu’un
               malheur nous est tombé dessus sans que l’on s’y
               attende. Peut-être existe-t-il des SDF fainéants,
               mais crois-moi personne ne devrait avoir à vivre dans
               la rue! C’est vrai quoi! Il y a bien assez de place
               pour tout le monde sur cette planète!
Je
               commence à me fatiguer, je compte aller faire la
               manche demain et récolter assez d’argent pour me
               payer mes médicaments, je te raconterai tout demain.
               A demain!
Le
               9 décembre 2001
Cher
               journal,
Comme
               je te l’ai annoncé hier, aujourd’hui je suis allé
               faire la manche dans le marché du coin.
J’y
               ai rencontré d’autres SDF. Il y avait Paul qui se
               place toujours au début du marché. Il doit avoir une
               cinquantaine d’années et est SDF depuis 10 ans.
               Avant d’habiter dans la rue, il vivait avec sa tante
               qui l’a expulsé de chez elle, car il se droguait.
               Ensuite Hervé qui se place plus ou moins au milieu du
               marché près des vendeurs de frites. Quelques fois,
               ils ont pitié de lui et c’est comme ça qu’il se
               nourrit. Lui, a une histoire banale comme il le dit si
               bien, il n’arrivait pas à payer ses factures,
               s’endettait de plus en plus et a fini par se faire
               expulser... Comme moi. J’ai aussi fait la
               connaissance d’une certaine Anne. Personne ne sait
               comment elle s’est retrouvée là. Elle doit avoir
               un peu près mon âge, mesurer pas loin d’un mètre
               65 et a des yeux 
               
magnifiques.
               Elle, elle se place près de vendeurs et non des
               vendeuses de vêtements. Ils ne sont pas contre sa
               présence près d’eux et elle en est consciente.
               Anne sait se servir de son charme et quelques fois en
               plus des vêtements, les marchands lui offrent le
               repas. Pour ma part je me suis placé tout à la fin
               du marché, pas grand monde ne se rend jusque-là.
A
               la fin de la matinée je n’avais que 1,50 euros mais
               mes amis ont partagé leur repas avec moi et Paul. Ils
               ont très vite remarqué ma toux et mes plaques et je
               leur ai donc raconté mon histoire. Ça les a touchés
               et ils m’ont dit qu’ils m’aideraient à obtenir
               mes médicaments, mais j’ai refusé. Ils ont alors
               insisté et j’ai fini par accepter. Je leur ai dit
               le nom de mes médicaments et c’est comme ça que
               quatre SDF ont été voler dans une pharmacie.
Paul
               a fait semblant de s’étouffer, le pharmacien a
               couru pour l’aider et Hervé était là pour éviter
               qu’il se retourne. Je me suis mis devant la caméra
               de surveillance en faisant semblant de la nettoyer et
               Anne a piqué les médocs dans la réserve. Le
               pharmacien n’y a vu que du feu.
Dans
               la soirée, la croix rouge est passée pour nous
               offrir du café, nous avons fait un feu et nous nous
               sommes raconté des histoires toute la nuit. Je ne me
               rappelle pas de la dernière fois où j’ai ri
               autant.
Une
               fois que l’heure d’aller dormir est arrivée, tout
               le monde s’est dispersé et je suis retourné seul
               sous mon pont. Je sens mon corps qui me lâche de plus
               en plus, j’ai des maux de tête impitoyables qui
               m’empêche de me reposer et les médicaments me
               donnent la nausée.
Demain,
               mes amis et moi comptons aller faire la manche près
               du supermarché. Je te raconterais, évidemment tout.
A
               demain! 
               
Le
               10 décembre 2001
Cher
               journal,
Ce
               matin, Paul est venu me réveiller tôt pour aller
               mendier devant le supermarché et m’a annoncé
               qu'Anne était partie dans le Sud de la France avec un
               marchand. Je ne sais pas pourquoi, mais ça ne m’a
               pas surpris.
Après
               cette nouvelle, nous sommes allés chercher Hervé qui
               dormait sur un banc dans le parc. A la sortie du
               supermarché les gens nous donnaient du lait, des
               biscuits, du pain,… Une dame nous a même payé le
               petit déjeuner. Elle était vieille et ne semblait
               pas très riche mais ça se voyait qu’elle nous
               offrait ce café et ce croissant de bon cœur et c’est
               bien ça qui a réchauffé le nôtre. 
               
Après
               avoir fini de déjeuner nous sommes retournés nous
               installer près des cadis. Je ne me sentais pas très
               bien et j’ai vomi une fois encore du sang. Une jeune
               femme qui passait par là a tout de suite appelé une
               ambulance. Arrivé à l’hôpital, j’ai fait des
               sortes de photos de mes organes (désolé mais je ne
               sais plus très bien comment ça s’appelle, si ça
               me revient je te le dirais). Les médecins m’ont dit
               que mon état empirait de façon alarmante, qu’ils
               ne pouvaient plus rien pour moi et qu’il ne me
               restait plus longtemps à vivre. Ils ont clôt la
               discussion par un solennel «Nous sommes désolés».
Sur
               le chemin du retour je ne pensais qu’à une seule
               chose: retrouver ma mère. Si il y a bien une chose
               que j’ai appris c’est qu’il faut être
               solidaire! Peut-être qu’elle ne sait pas qu’elle
               a ce virus en elle. Je dois absolument lui dire, lui
               éviter le même sort que moi avant qu’il ne soit
               trop tard pour elle aussi. 
               
Quand
               j’ai annoncé cette nouvelle à Paul et Hervé, Paul
               a tout de suite voulu m’aider mais Hervé, lui, nous
               a informés qu’il avait trouvé du travail et ses
               patrons étaient d’accord pour qu’il loue
               l’appartement au-dessus du magasin. Il nous a aussi
               dit qu’il nous inviterait bien, mais que c’était
               bien trop petit pour trois.
Alors
               voilà demain, Paul et moi allons nous rendre dans
               l’hôpital où je suis né pour découvrir qui est
               ma mère biologique. Mais je n’arrête pas de me
               poser des questions: est-elle en vie? Si oui, comment
               va-t-elle réagir quand elle apprendra que son fils
               est un SDF alors qu’il avait tout entre ses mains
               pour réussir? A-t-elle eu d’autres enfants?
               Allait-elle répondre à la question que je me pose
               depuis tout petit: Pourquoi nous a-t-elle abandonnés,
               mon père et moi? Était-elle amoureuse de mon père?
               Et bien d’autres encore...
Bon
               je suis fatigué, je te rappelle tout de même que je
               suis en train de mourir, alors je te dis à demain. 
               
Le
               11 décembre 2001
Cher
               journal,
Aujourd’hui
               il a neigé, mais je suppose que ce n’est pas ça
               qui t’intéresse. 
               
Comme
               prévu, Paul et moi nous sommes rendus à l’hôpital.
               Arrivés là-bas, une très jolie fille était à
               l’accueil. On lui a dit que je voulais retrouver ma
               mère, mais elle a nous a répondu qu’il lui était
               impossible de me dire son nom car c’était contre le
               règlement. Mais une fois que Paul lui a raconté
               l’histoire du malade qui est en train de mourir et
               qui a pour dernier souhait de retrouver la femme qui
               l’a mis au monde, c’est tout de suite passé
               mieux. Je lui ai dit mon nom et prénom, ma date de
               naissance, le nom et prénom de mon père, etc. et là
               elle nous a regardé avec un sourire triste et a dit
               «votre mère est le docteur Elise Smith, mais cela
               fait deux ans maintenant qu’elle nous a quittés.
               Elle a eu un terrible accident de voiture. Je suis
               désolée, monsieur».
Sur
               le chemin du retour, Paul m’a dit «Tu imagines? Tu
               avais un toit et maintenant tu as un pont . Tu as
               perdu ton père et maintenant ta mère. Tu avais toute
               ta vie devant toi et maintenant tu n’as plus que
               quelques jours. On devrait te surnommer... Le mal
               chanceux!». Et tu sais ce qui est le plus triste dans
               cette phrase? C’est qu’elle soit vraie.
Je
               repense à la phrase que me disait mon père «Tu sais
               mon grand, dans la vie, tu n’arriveras jamais avoir
               des réponses à toutes tes questions». Et bien mon
               père avait raison. J’ai toujours cru que je dirais
               cette phrase à mes enfants, mais c’est clair que je
               n’en aurai pas. Quand j’y pense, il me reste
               encore tellement de choses à vivre. Pourquoi est-ce
               que c’est tombé sur moi? Enfin je suppose qu’à
               cette questions-là non plus, je n’aurai pas de
               réponse. J’ai vais mourir SDF et je ne dois pas
               m’en plaindre car si j’en suis là aujourd’hui,
               c’est en grande partie ma faute.
Ce
               soir, je vais aller me coucher sans force. Je sais
               qu’aujourd’hui je t’ai écrit moins que les
               autres jours, mais mon bras commence à ne plus
               vouloir m’obéir, je te rappelle tout de même que
               je suis en train de mourir. A demain!
Le
               12 décembre 2001
Cher
               journal,
Il
               fait de plus en plus froid, je ne sens plus mon nez,
               mes pieds ou encore mes doigts.
Paul
               ce matin est venu me voir pour me dire qu’il ne
               viendrait plus me réveiller. Hervé lui a demandé
               d’aller vivre avec lui. Il m’a dit qu’il ne
               fallait pas que je le prenne mal, car ils sont amis
               depuis très longtemps et ont toujours tout partagé.
               Je lui ai dit que je ne le prenais pas mal, je suis
               même content qu’ils aient trouvé un toit. 
               
Cet
               après-midi, il faisait tellement froid et je me
               sentais si mal que je suis allé me réchauffer dans
               une boulangerie. L’odeur du pain me faisait sourire
               d’autant plus que j’avais très très faim. La
               boulangerie dans laquelle je me trouvais était celle
               dans laquelle j’avais demandé du travail. La
               boulangère est venu me voir et m’a dit qu’elle
               voulait bien me donner le travail à condition d’aller
               voir un médecin, car mon teint verdâtre allait
               éloigner les clients. Bien sûr, je lui ai dit que ça
               ne m’intéressait plus et elle m’a demandé
               pourquoi. Je lui ai donc raconté mon histoire et
               c’est par pitié qu’elle m’a offert le petit
               déjeuner, sans doute en se disant qu’il n’y
               aurait pas de prochaine fois.
Je
               sens que je suis en train de mourir, crois-moi ce
               n’est pas une sensation très agréable. J’ai de
               moins en moins de force dans mes jambes et dans mes
               bras. D’ailleurs je crois que je vais arrêter de
               t’écrire parce que ma main est en compote. Je te
               rappelle tout de même que je suis en train de mourir
               seul, sous mon pont.
Le
               surnom «le mal chanceux» me va assez bien en fait.
               Si je suis toujours en vie, je t’écrirai demain. A
               demain!
Le
               13 décembre 2001
Cher
               journal,
Je
               sens mes paupières de plus en plus lourdes, je n’ai
               plus aucune force, je meurs. Mais avant de mourir il
               faut que je te dise quelques chose de très important,
               je n....
¤¤¤Ce
               journal intime fut retrouvé par Paul dans la gueule
               d’un chien. ¤¤¤¤
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